mardi 28 décembre 2010

Poésie et littérature

1 mois s'est écoulé, et bien des choses se sont produites. Je me suis enfin remis à un vieux projet de recueil de poésies qui me tenait à coeur.

Le concept initial était l'histoire d'un garde dans une tour de guet au seuil d'un pays hostile et inconnu, qui racontait comment une force surnaturelle et hostile avait fini par contaminer tout le monde, et comment il avait réussi à l'endiguer en tuant et crucifiant tous ses camarades, avant de devoir se crucifier lui même par un système tortueux. Cette force ne pouvant être définitivement tuée, il finissait toujours par ressusciter, voir ses compagnons agoniser, et lui même mourir et renaître sous son emprise. L'histoire qu'il racontait lui permettait de se souvenir du combat et de lutter pour que sa lucidité ne soit pas complètement engloutie par la créature. Je prévoyais une fin dans laquelle des renforts finissaient par arriver, et par tuer définitivement tout le monde en les immergeant dans de l'acide.

Le recueil se décomposait en différentes parties dont les titres reprenaient le premier vers de chaque poésie, en rimes croisées ; chaque vers faisait 13 syllabes, ou groupait avec un autre 26 syllabes (multiple de 13).

A partir de l'histoire, j'élaborais un schéma cohérent d'images sur la métaphore christique du sacrifice par crucifixion, en renversant la perspective pour montrer une souffrance qui se répète perpétuellement (au contraire d'un martyr qui s'achève par une élévation) ; les brusques ruptures dans les phrases quand le narrateur commence à perdre pied avec la réalité, que ce soit dans la douleur, ou dans la possession de son être par cette "force" ; les répétitions pour ses efforts pour rester dans cette réalité ; enfin, et surtout, c'était l'occasion de montrer ma notion de l'héroïsme dans son aboutissement extrême, le sacrifice de soi dans une douleur qui ne cesse jamais, et l'aspiration à la mort pour la faire cesser, et assurer définitivement le triomphe du Bien pour lequel on s'est battu.

Si ce projet ci est en sommeil, j'ai repris son concept à la base, en me rendant compte qu'il pouvait aussi être pris comme une allégorie élogieuse de la xénophobie. Je me suis alors dit qu'il fallait renverser l'idée à la base et raconter l'histoire d'une personne qui voit une tour de guet avant de mourir. On ne sait pas qui il est vraiment, ni d'où il vient ; mais il est venu fuir quelque chose de terrible, et il meurt avant d'y arriver. Les gens, dans le pays où il veut entrer, sont insouciants, rassurés par la présence de la tour de guet. Mais cette tour est présentée sous un jour sinistre, comme une sorte de menace latente sur le pays qu'elle protège.

Je me suis aperçu très vite que ces deux projets peuvent constituer un diptyque, entre le héros qui finit par désirer sa propre mortalité pour se réaliser, et un parfait inconnu qui aurait voulu encore vivre pour être heureux et fuir une abomination, deux figures paradoxales du héros, et un recueil consistant en poésies. Les travaux préparatoires s'annoncent d'ores et déjà laborieux, même si le processus d'écriture s'est depuis tout ce temps affiné. Avant, j'aurais essayé d'emprisonner un moment d'inspiration dans un ensemble cohérent et frappé d'une méthode rigide de composition. J'ai depuis appris à mieux réfléchir, et à au contraire le laisser me guider sans essayer de le contraindre à prendre une cohérence immédiate et définitive pour qu'un lecteur (moi seul, pour ce que j'en sais) fasse le lien.

La littérature, et toute tentative littéraire, est PRECISEMENT la volonté de ne pas circonscrire un sujet à un sens unique que ce lecteur idéal reconstituerait ; elle est au contraire la volonté d'être sujette à une perpétuelle ré-interprétation de chaque lecteur, et cette confrontation fonde l'intérêt d'un livre : renaître à chaque lecture sous une forme nouvelle, et devenir une parcelle partiellement déterminée de la culture dont elle enrichit le substrat par des images nouvelles.

Je me méfie, au fond, de toute littérature qui prétend à "reconstituer la réalité". Ce genre de littérature, à mon humble avis, se ment en ce qu'elle ne fait que représenter une version, sa version de la réalité. Par conséquent, elle ne reconstitue rien, et n'a pour but que de leurrer en dogmatisant une vision. L'innocence d'une vision contient toujours la trame d'une interprétation, ce credo que j'ai toujours martelé à qui voulait entendre (et peu sont dotés des oreilles nécessaires pour l'entendre ...) se vérifie à chaque encre versée pour "l'amour de la vérité", que l'on devrait, à l'instar d'un nietzsche light changer en "l'amour de ma vérité" pour que l'honnêteté de la démarche artistique d'un tel type d'auteur soit définitivement mesurée.

La littérature ment tout le temps, au même titre que la religion, non par nécessité, mais par esthétisme. Il est beau de se mentir en pensant que l'on oeuvre pour quelque chose d'authentique, et dégagé de tout subjectivisme, quand la rigueur de la démonstration s'effondre sitôt que l'on se dit "mais quel oeil voit tout cela, un oeil n'est il pas gouverné par une interprétation ? Se pourrait il qu'une démonstration repose toujours sur quelque chose de faillible, et d'interprétatif?"

On pourrait me reprocher, du reste, de me contredire, en donnant tout d'abord un script extrêmement précis d'un recueil poétique en lui attribuant d'emblée un nombre fini de portées et d'interprétation, avant de proclamer que toute oeuvre n'est qu'une représentation subjective d'une réalité et sujette à une infinité d'interprétations. C'est oublier qu'une oeuvre est toujours écrite dans une intention plus ou moins précise. Une fois que le lecteur reçoit l'oeuvre, il ne s'agit plus de savoir si cette intention est comprise, mais ce que le lecteur en retire en définitive. C'est ici que la littérarité naît, et généralement, que les critiques littéraires gâtent tout avec leur glose taxinomiste.