Bonus

NOTE PRELIMINAIRE


     Mes pairs de l'Etat Major Réprouvé m'ont demandé de rédiger ces Mémoires, destinées à alimenter la Grande Bibliothèque de Fosssoyeuse, que Sylvanas, Grande Libératrice et future Régente de ce monde, a mise à disposition des jeunes enrôlés, afin de les éduquer aux antiques et tortueuses Voies Guerrières.

Les plus turpides de nos récentes recrues s'interrogeront peut être sur la légitimité d'une telle entreprise pour une culture d'êtres immortels et foncièrement misanthropes ; ce serait ignorer le soin dont elle fait constamment preuve pour éliminer ses members les plus débiles. Notre objectif est d'accélérer la maturation des plus aptes, afin de précipiter notre avènement. Les plus faibles, laissés à leur inanité, ne pourront pas poursuivre longtemps le chemin que nous sommes en train de nous construire. Qu'ils sachent cependant que leur annihilation prochaine servira également cet ultime dessein.


     Moi, Thanǿs, féal de la Dame Noire, commence ici la chronique de son engagement dans l'armée Réprouvée, des accrochages avec la Croisade Ecarlate au harcèlement des armées de l'Alliance ; de la IIIème campagne contre le Fléau à la Reconquête de Fossoyeuse. Que mes écrits se réduisent en poussières, et que nos faits d'armes emplissent ennemis et alliés d'un commun effroi ! Notre crépuscule est celui d'une renaissance, celle d'une vie qui n'est plus la Vie, celle d'une mort qui défigure la Vie.


I- Sur les flots

     Nous sommes sur une barge. Les cris des corbeaux messagers se son tus. L'horizon n'existe plus, nous voguons sur une mer grisâtre, qu'un brouillard opaque vient profaner de son écoeurante blancheur d'ivoire.

Autour de moi, des vivants, comme je le fus autrefois. A ma grande répugnance, que des novices. En tant que vétéran, on m'a assigné un peloton de débutants, dont l'expérience se confine à trois semaines passées en entrainement intensif, c'est à dire à rien. Ces chairs à canon juvéniles, dont la moitié ne survivrait pas au premier assaut terrestre, a perdu de sa morgue dés la première vague. Leur malaise grandit à mesure que le silence s'installe. Le doute ronge les reins de de ces privilégiés, qui n'avaient entendu parler de guerre que dans la gravure enjolivée des recruteurs.

Maintenant qu'ils sont sur le point d'aller au feu, les armes à la main, et sans une seule protection face à la tourmente ennemie, que voient ils ? Leur misérable vie, sur le point d'entrer dans un ballet de sang et de mort. Certains d'entre eux mourront pour en deviner les pas. Dans le métier, on dit qu'un soldat est celui qui est resté vivant grâce à la mort des autres. Chez les Réprouvés, le mot « soldat » n'existe pas. Parce qu'il contient une distinction que nous ne retenons pas.

Tout cela, je ne le leur dis pas. Ils ne comprendraient pas ce qui est de l'ordre de l'incommunicable. On est soldat ou on ne l'est pas. Ceux qui ne le sont pas ne font pas de vieux os dans l'armée. Ils meurent ou quittent nos rangs. Officiellement, mon but, en tant que lieutenant, est d'encadrer le peloton dont j'ai la charge. Officieusement, on m'a demandé de ne revenir qu'avec ceux qui feraient de vrais soldats.

Je me lève brusquement, réveillant le guerrier Tauren qui commençait à dodeliner de la tête. Tous lèvent les yeux, le mage Elfe de sang excepté, occupé à vomir ses tripes par dessus bord. Je m'occupe un peu de ranimer tout le monde :

- On va récapituler avant qu'il soit trop tard ! On doit établir une tête de pont dans notre zone de débarquement pour nos très chers gobelins du Génie. On débarque, on nettoie le rivage, on neutralise les roquetteurs ennemis, et on tient jusqu'à l'arrivée des renforts. Le tout en écoutant ce que je vous dis et en faisant comme je vous dis !

Quand la Compagnie entière est arrivée sur la plage, on rassemble ce qui reste, et on attaque tout azimut. Une fois qu'on les a entamés, on retourne aux navires casser la croûte, et on participe en soirée au feu d'artifice final !
 
Ce sera la première journée de la semaine, une vraie sinécure les bleus, alors si y a quelqu'un qui ne le sent déjà plus (regard sarcastique sur le mage), qu'il le dise, comme çà, sa ration ira grossir celles des autres ! »

J'attends que le roulis se soit calmé pour continuer.

- Je rappelle aussi l'ordre de débarquement pour ceux qui ont laissé leur cervelle au port. D'abord le voleur et le druide , ensuite la paladine, suivie de la démoniste et du prêtre ombre. Le mage aussitôt après, enfin, s'il arrive encore à bouger ...»

Petits rires discrets dans le groupe. Je continue imperturbablement.

- La prêtresse discipline après le mage, et enfin le guerrier, qui n'oubliera pas d'attacher la barge pour qu'on ait de quoi bouffer plus tard dans la journée. Personnellement, ça me gêne pas de manger sur place, mais pas tout le monde aime la viande crue »

Le Tauren se contente de hocher la tête, ce qui fait grincer un casque de toute évidence trop petit pour lui.

- L'Etat Major ne sait pas combien de temps on aura des conditions aussi favorables pour l'offensive, alors le druide et le voleur devront être efficaces et rapides dans leur infiltration. Le brouillard finira tôt ou tard par se lever, à ce moment, vous revenez fissa. Vous restez en contact télépathique avec vos prêtresses, sans tailler non plus la bavette en plein champ de bataille, je les veux opérationnelles et attentives, hein ...

Les soigneurs, pas de bulles de soin ou de protection, rien de brillant qui signale notre position avant que je vous y autorise ! Si vous êtes blessés, vous attendez les soins sans beugler au premier bobo. Et si vous devez crever, faites le en silence, que votre mort soit pas aussi nulle que votre vie l'a été ! 

La démoniste, pas de diablotin, ou je t'envoie au troisième Cercle ! Si ta succube fait encore la conne avec son fouet comme durant l'entraînement, je le lui enfonce tellement profond qu'elle aura une seconde queue !

Je sais que certains d'entre vous sont assez cons pour compter sur mes pouvoirs pour sauver vos petits derrières en cas d'emmerde ; mais figez vous bien dans le crâne qu'on doit être discrets, et que j'allumerai un putain de feu d'artifice que quand ça en vaudra la peine, et pas pour les petits couillons qu'on m'a demandés de chouchouter parce que personne d'autre n'en voulait ! »

Je fais mine de reprendre mon souffle

- Ecoutez, et je vais faire comme si je m'adressais à de vrais soldats, et pas à des putains de gosses qui feront dans leur pantalon au premier gnome rencontré. Ici le maître mot est la discrétion. On débarque, on s'installe, on fait le maximum de dégâts possible avec vos cure dents et vos sorts minables, ensuite les chars arrivent pour s'occuper de démolir leurs fortifications. Jouez pas au héros alors qu'on a une rangée de tourelles pour vous transformer en charpie. Laissez pas un camarade non plus dans la merde parce que vous chiez dans votre froc. 


Foutez leur la frousse et alignez les pour montrer ce que c'est que la Horde ! Je veux que le chef du Génie soit tellement sur le cul qu'il en reste murloc! Quand aux éclopés qui auront survécu, peut être, je dis bien peut être, que je demanderai leur nom à la fin de tout ce bordel, parce que ça m'intéressera. D'ici là, vous êtes tous des merdeux pas encore dignes d'être distingués d'une mouette crevée ! Compris les gamins ? »

Je déteste faire « le coup du Sergent », mais c'est utile pour remuer la nervosité, et montrer qu'il y a quelqu'un avec l'esprit clair et focalisé dans une direction précise. Mettez un lieutenant inexpérimenté qui laisse de la place aux questions et au doute, et vous avez le peloton déjà condamné. Les Réprouvés sont des officiers haïs par leurs soldats : la haine est un merveilleux antidote au doute, et constitue le meilleur aiguillon aux prouesses guerrières. Elle doit s'exercer sur quelqu'un, et l'ennemi devient le coupable de toutes les heures passées à souffrir en tant que soldat.

Cela étant dit, ça ne marche pas toujours ; il existe une catégorie de personnes que les sous officiers nomment les oui-oui. Les oui-oui ont toujours l'air d'avoir compris ce que vous lui demandez de faire, ils ont toujours l'air de vouloir faire ce que vous lui avez dit de faire, et le résultat est catastrophique : ils font n'importe quoi, n'importe comment, et parfois avec davantage d'efficacité que s'ils avaient été des infiltrés ou victimes d'un contrôle mental. On ne sait jamais lesquels sont des oui-oui avant qu'il ne soit trop tard. 

Envoyez les en première ligne qu'ils se fassent tuer, et priez pour qu'ils ne reviennent pas. La mauvaise herbe qui arrive encore à survivre, utilisez la comme diversion afin de fausser l'évaluation de la valeur de vos troupes, et utilisez le reste pour faire ce qui doit être fait. Il y a eu des cas où seul l'empoisonnement ou des circonstances exceptionnelles (un mort au combat pendant une relève de sentinelle par exemple) a permis d'empêcher le pire. Plus d'une bataille s'est remportée en prévoyant d'office les pensions pour les épouses d'imbéciles.

Le mage interrompt son ramonage intérieur pour exhaler

- Mon lieutenant, on arr... bleuaarrgghhh

Décidément, elle promet, cette bande de baltringues