mardi 4 janvier 2011

L'Etat, le Client, et le Citoyen

Ecouter les débats économiques à la radio est toujours instructif. Je suis tombé hier au beau milieu de Service Public d'Isabelle Giordano sur France Inter. L'un des intervenants notait le déplacement de perspective des entreprises, passées d'une priorité accordée au "produit" à celui au "client". Je me suis demandé si cette priorisation ne pourrait pas être considérée comme une régression. 


A vouloir se centrer sur le client (ou plutôt, les besoins du client comblés par le produit), on finirait ainsi par sacrifier le produit à son utilité immédiate ; par restreindre le client à la satisfaction de ce besoin ; et par circonscrire la composition d'un produit à une vision limitée de la perception de ce besoin.

Pour simplifier le propos, se centrer sur le client pourrait être une erreur sur ce que cette personne est en réalité ; sur ce qu'elle a ; sur l'évaluation correcte de la vision d'ensemble que l'on a créée pour réaliser le produit. A supposer, bien entendu, que l'objectif de l'organisme est de répondre à ses besoins.

Le Service Public d'aujourd'hui, consacrée au débat sur l'impact de la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques)  m'a fourni un exemple commode : l'hôpital Salpêtrière aurait un service Clients (7'41 notamment).
L'utilisation de ce terme pour un établissement public de soin est révélateur d'un déplacement de préoccupation majeure, d'une qualité de soin primordiale à l'élaboration d'une prestation répondant aux exigences (aux "besoins") du client. Un malade doit il avoir les meilleurs soins possibles ou bien bénéficier de la réponse correspondant  à leurs attentes ?

Car, s'il est un client, la priorité n'est assurément pas les meilleurs soins possibles. Ce peut être la fin de la douleur. Des résultats probants. Une rentabilité du résultat par rapport au coût engagé. Dans ce cas, les meilleurs soins ne sont pas quelque chose d'automatique ni même de nécessaire. Les meilleurs soins ne sont en effet garantis ni  par un rapport positif coût / résultat, ni par la fin de la douleur (la douleur est souvent signe de rétablissement). Les meilleurs soins ne garantissent pas en outre une guérison effective.

D'un point de vue théorique, la notion de bénéfice n'est absolument pas compatible avec une vision éthique de la profession médicale : un résultat positif ne signifie pas que le meilleur choix a été accompli, puisqu'un choix médical ne se cantonne absolument pas à un rapport investissement / besoin comblé. Ce besoin est généralement à la périphérie du véritable problème, quand il n'est pas strictement impossible à solutionner (cas des cancers)

Chercher du bénéfice hors du cadre mercantile n'est qu'un exemple de volonté de domination de ce mercantilisme à la sphère publique. Qu'on l'honore de manière aussi incongrue dans un service d'Etat n'est qu'une preuve de l'appropriation par une certaine idéologie de la gestion publique, comme si son efficacité peut se réduire à une réponse ponctuelle à des individus pris séparément comme clients.

Que l'on me pardonne si je prétends que toute entité qui envisage un ensemble de personnes comme tels ne peut plus être considérée comme un Etat. La notion de bénéfice dans l'Etat est une corruption, elle est la base d'une fraude. Un gouvernement qui parle de clients et de bénéfices n'est plus une administration, il est une liquidation de l'idée d'Etat. Il n'est plus responsable parce qu'il exige des résultats positifs. Que lui importe des résultats positifs ! Ce qu'il lui faut, c'est en permanence la réaffirmation de son credo historique, qu'il réactualise en l'adaptant aux vicissitudes. La seule chose demandée à un responsable est la constance. Le bénéfice n'est qu'une conséquence tierce. Pour tout dire, son alpha et oméga est l'équilibre. C'est à dire quelque chose qu'il n'atteindra jamais.

2011 est l'année de la fiscalité, 2011 est donc une année compliquée. C'est sans doute avec un certain intérêt que sociologues et sociolinguistes guetteront les premiers signes de l'invasion de la novlangue dans le discours politique à coup de taxinomie positiviste (le libéralisme économique n'est qu'une forme de positivisme économique - et rien d'autre!). Ils aideront peut être à mieux comprendre comment une gestion économique des fonds publics a fini par engendrer une vision économique de la gestion des fonds publics