Le projet de Terry Jones ,aurait été bienvenu dans le contexte actuel. S'il avait eu le courage d'aller au bout de sa démarche, il aurait pu brûler le Coran, la Bible, et la Torah, ainsi que tous les textes sacralisés, afin de réaffirmer le caractère blasphématoire de tout acte de subversion - replacer l'homme dans son credo et la pratique de son credo - et faire montre d'une initiative remarquable, pour démontrer qu'une lecture littérale fait sombrer dans l'autisme.
Son comportement provocateur est d'autant plus remarquable qu'il est parfaitement reproductible en remplaçant le coran par la bible, l'accusant mêmement d'être par nature totalitaire, de ne pas reconnaître la séparation de l'Eglise et de l'Etat, d'être incompatible avec la démocratie et les droits de l'homme (de la femme surtout), de condamner à mort l'apostasie, et de persécuter les non-chrétiens. Il aurait raison aussi de pointer cela, sans pour autant discréditer ledit livre sacré et ladite religion.
La dénonciation d'une pratique religieuse en faisant mine de détruire son texte fondateur, est le geste typique d'une personne impuissante. Je pourrais tout autant brûler la Constitution américaine pour son deuxième amendement, en arguant qu'il a permis à des meurtriers d'acheter une arme dans une optique d'agression : un acte n'est relié qu'à une interprétation. Le texte échappe à toute tentative de réduction - il peut être interprété de tant de manières qu'il finit par pouvoir contredire tout ce qu'il pourrait signifier, et l'on pourrait arguer qu'il encourage précisément le contraire de ce qu'il est supposé promouvoir.
La vérité est qu'une interprétation ne peut avoir de valeur de vérité, et qu'une doctrine n'est juste qu'une interprétation du monde qui se donne pour but de définir la vérité.
Qu'on lise un peu le Discours décisif d'Averroès, par exemple, pour se rendre compte des profondes contradictions à vouloir concilier foi et exercice de la raison. Que le Discours décisif ait été à la fois interprété comme un encouragement à l'intolérance religieuse, et un signe avant coureur de tolérance religieuse, n'est qu'un conséquence indirecte de cette détresse à vouloir réaménager une liberté dans un corpus doctrinal, en essayant de refaire la cuisine originelle par la variation de ses ingrédients.
En fin de compte, il n'y a rien de vrai dans une doctrine puisqu'elle n'est qu'une interprétation, sujette à interprétation, et impropre à définir l'objet qu'elle s'est attachée à fixer, sa définition ne reposant pas sur une base définitive. Des philosophes ont tenté le coup, les théologiens aussi, et pour ce que j'en sais, tous ont échoué à définir la vérité (tout au plus ont ils pu définir leur vérité), et ne s'en sont réduits qu'à des gesticulations sur les édifices pesants de leur argumentaire.
Le vrai acte subversif aurait il vraiment consisté à brûler tous les textes sacrés ? L'homme est un animal stupide : il faut ruiner les idoles pour qu'il se remette à réfléchir légèrement en dehors du cadre qu'il s'est imposé par elles. Mais cela ne change rien au problème : brûlerait on des contenus doctrinaux, absolument rien ne l'empêcherait de continuer à interpréter de manière doctrinale, et d'agir en conséquence. Et la démarche consistant à brûler des idoles est une interprétation aussi doctrinale de l'idole qu'elle même.
Que dire, arrivé devant une telle aporie ? Ceci. Il n'existe aucune vérité immanente, et chaque manière de voir les choses est contredite par sa formulation, avec des prémisses réfutables, selon une échelle de valeurs elle même faillible. Terry Jones estime que le coran est dangereux dans les vérités qu'il prétend révéler. Moi je prétends que le coran est dangereux dans tout ce qu'il peut engendrer d'interprétations, la mienne comme la sienne incluse. Mais en cela, rien ne le différencie des autres textes à vocation religieuse.
Je me souviens d'une Syrienne (les circonstances importent peu) qui parlait de son vécu après avoir abjuré la foi musulmane pour adopter le credo chrétien. Quand je lui ai demandé "certains historiens pensent que jesus christ n'aurait pas été le seul enfant de Joseph et Marie, vous pourriez y croire ?". Et elle de me répondre "Non, je ne peux pas croire cela".
J'avoue avoir intérieurement jubilé de voir qu'elle avait changé de religion parce que cela l'arrangeait, et pas parce qu'il y aurait une plus grande légitimité à choisir l'une des religions à l'autre. Oh, je respecte le choix qu'elle a fait, mais si elle s'était ensuite mise à faire un éloge du christianisme par rapport à l'islamisme, en pensant que son choix avait valeur d'exemplarité, je me serais bien amusé à lui demander en quoi le remplacement d'un dogme par un autre témoigne d'un quelconque esprit de grandeur, surtout quand rien ne permet d'affirmer que l'un aurait une valeur supérieure